Ceux qui profitent de la crise entre l’Algérie et Paris

L’ancien député de la communauté algérienne en France et professeur à l’Université de Marseille, Abdelkader Haddouche, apporte son analyse sur la crise actuelle entre l’Algérie et Paris, en tant qu’intellectuel algérien vivant la réalité française. Dans un court entretien avec El Khabar, Haddouche propose des solutions possibles dans l’intérêt de l’Algérie et identifie les bénéficiaires de la détérioration des relations entre les deux rives.
Les déclarations conciliantes du président français, Emmanuel Macron, ont soulevé plusieurs hypothèses. En premier lieu, la reconnaissance par l’Élysée que l’approche de Retailleau n’a pas été efficace avec l’Algérie, entraînant un abandon progressif de cette stratégie. Ensuite, la volonté de Macron de récupérer une marge de manœuvre dans un paysage politique dominé par les populistes. Qu’en pensezvous ?
Il faut admettre que le Premier ministre français actuel, François Bayrou, est à la merci de forces et courants politiques avec lesquels il est en profond désaccord en matière d’idées, de visions et de convictions, comme le Rassemblement national et Les Républicains. Cela le rend vulnérable face à eux et l’oblige à une certaine prudence pour éviter un retrait de confiance, comme ce fut le cas pour Michel Barnier avant lui.
Le président Macron, lui aussi, a perdu la majorité parlementaire depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. Après les dernières élections législatives, il se retrouve entouré de courants influents, dont certains s’opposent farouchement à tout rapprochement avec l’Algérie. Ce ne sont pas seulement Retailleau, Le Pen ou Dati, mais aussi d’autres forces moins visibles.
Ainsi, ce sont eux les véritables bénéficiaires de la crise. Pourtant, le volume des échanges, des intérêts et des défis communs entre l’Algérie et la France dépasse largement les divergences attisées par les médias, les réseaux sociaux et les courants extrémistes. Cela exige sagesse et retenue pour gérer les relations et surmonter les crises, afin de barrer la route à ceux qui souhaitent exploiter cette situation.
Quel rôle doivent jouer les élites françaises dans cette crise ?
Les élites françaises doivent comprendre qu’il existe un passé qu’elles doivent assumer avec courage. Elles doivent aussi adopter une approche positive de l’immigration, qui a apporté des contributions notables à la société et à l’économie françaises. Il ne faut pas tout amalgamer.
Les fautes ou infractions doivent être assumées individuellement, sans en faire porter la responsabilité à d’autres.
Ainsi, la volonté commune des deux pays doit l’emporter sur celle des courants populistes qui pourraient tout compromettre.
Qui bénéficie de la crise ?
Seuls les extrémistes et les populistes en tirent profit. Jamais les relations entre les deux pays n’avaient atteint un tel niveau de tension, même à l’époque du président Houari Boumediene. L’intérêt commun exige de la sagesse, une relation apaisée et équilibrée, ainsi qu’une coopération sur les défis partagés comme le trafic de drogue et le terrorisme.
Il ne faut pas laisser la relation être otage des populistes des deux côtés ni des discours véhiculés par Retailleau, Éric Ciotti, Bardella et d’autres figures de la droite et de l’extrême droite. Il est impératif de les dépasser et d’investir dans les nombreux amis de l’Algérie en France, tout en accordant une attention particulière à la communauté algérienne.
Que pensezvous de l’hypothèse selon laquelle Retailleau convoite la présidence en séduisant l’électorat de droite ?
Oui, c’est une hypothèse crédible. Retailleau cherche à reproduire la stratégie de Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait misé sur l’électorat d’extrême droite face à Ségolène Royal. Il avait alors adopté un discours strict, courtisant les conservateurs et exploitant les thèmes de l’immigration et de la sécurité. Cela lui avait permis de capter les voix des Républicains et de l’extrême droite pour remporter la présidence.
Les Républicains tentent toujours de rééditer ce scénario. Actuellement, une rivalité oppose Retailleau, Darmanin, Ciotti et Laurent Wauquiez pour briguer la présidence.
L’Algérie conditionnetelle sa position à celle de la France sur la question du Sahara occidental ?
Oui, mais cette question doit être gérée par le biais d’un dialogue direct. Il est temps de prendre la décision de rétablir l’ambassadeur algérien en France, compte tenu de l’importance de la communauté algérienne dans ce pays.
Les désaccords fondamentaux ne doivent pas empêcher la présence continue d’un ambassadeur algérien ni entraver l’ouverture du dialogue par les canaux officiels, diplomatiques et sécuritaires appropriés. Il est impératif de résoudre cette crise dans un cadre institutionnel et non à travers les réseaux sociaux, les partis politiques ou la presse.