Benjamin Stora revint dans un entretien à El Khabar sur la crise entre l’Algérie et la France

Le grand chercheur en histoire du colonialisme français en Algérie et des questions migratoires, Benjamin Stora, a accepté de donner une courte interview au site d’”El Khabar” au sujet des tensions actuelles entre la France et l’Algérie.
Peuton dire qu’actuellement, la crise entre les deux pays est partagée par deux camps au sein du gouvernement français : le président Emmanuel Macron, qui représente l’aile modérée cherchant à apaiser les tensions, et le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui penche pour l’escalade ? Et comment prévoyezvous la fin de ce « duel » entre eux sur ce dossier ?
J’observe les évolutions des positions des différents membres du gouvernement français. Je vois, effectivement, une position très dure contre l’Algérie du ministre de l’intérieur, qui parle d’un « bras de fer » avec l’Algérie ; et de l’autre, une position conciliante, du Ministre des Affaires étrangères, qui évoquent la sortie de la crise par un dialogue. Le président de la République semble aller vers la dernière position, mais je n’ai pas discuté de ces questions avec lui depuis de nombreux mois. Je ne vois pas comment sortir de cette situation, si ce n’est par la reprise du dialogue.
Le projet de « réconciliation des mémoires », dont vous êtes l’un des responsables, semble être la plus grande victime de ces tensions. Pouvezvous confirmer l’arrêt définitif du travail entamé par les comités d’historiens algériens et français sur ce sujet ?
Effectivement, nous ne nous sommes pas réunis depuis le mois de mai 2024, alors que les rencontres, cinq depuis 2023, s’étaient très bien déroulées. En particulier le travail historique sue le 19e siècle, un inventaire chronologique de la pénétration coloniale en française, et une recherche bibliographique (livres et archives). Il a même été discuté la possibilité de restitution par la France d’objets appartenant à l’Emir Abdelkader. Mais cela n’a pas été possible immédiatement, car les responsables ont invoqué la nécessité, pour cette restitution, d’une loi générale. Hélas, les aléas de la crise politique sont venus percuter ce travail, et les activités de la commission sont en suspendes.
Un vif débat a récemment eu lieu à propos de la comparaison faite par le journaliste JeanMichel Apathie entre les crimes nazis et les pratiques coloniales françaises en Algérie. Indépendamment de la position des politiques français sur la question, pensezvous que la société française est prête à accepter que les crimes de la France en Algérie étaient des crimes contre l’humanité et que la France doit présenter des excuses pour cela ?
L’histoire le pénétration coloniale française tout au long du 19e siècle, les massacres et les résistances, d’ouest à l’est du pays, avec les combats de l’Emir Abdelkader, le siège et la prise de Constantine en 1837, le massacre des habitants de Laghouat, le soulèvement de la Kabylie en 1871, suivie de la dépossession massive des terres puis la déportation des responsables en Nouvelle Calédonie (et je pourrai ainsi multiplier les faits), avec l’installation d’une colonie de peuplement…. Tout cela n’est pas enseigné en France. On évoque plutôt une « colonisation heureuse ». C’est pourquoi, la surprise a été grande lorsque Jean Michel Apathie a voulu comparer les exactions françaises aux crimes commis pendant la seconde guerre mondiale. En fait il n’est pas le premier à parler ainsi ; ce questionnement a déjà été soulevé par les philosophes Hannah Arendt et Simone Weil dans les années 1940. Il y a donc tout un travail d’éducation, de transmission de l’histoire de France qu’il faut faire. Ce que j’avais fait, de mon côté, en publiant, en 1992, une « Histoire de l’Algérie coloniale » (Ed La Découverte). Mais la société n’était pas prête, encore, à entendre…. Les jeunes générations partent à la recherche de cette histoire coloniale, et de l’esclavage. Ce sera difficile d’empêcher cette vérité en marche.
En réalité, ce n’est pas la première fois que cette comparaison est faite, la question ayant déjà été soulevée par des philosophes tels qu’Hannah Arendt et Simone Weil dans les années 40. Il y a donc un énorme travail à faire dans l’éducation pour transmettre l’histoire de la France de manière correcte. Ce que j’ai fait, de mon côté, c’est publier un livre intitulé “Histoire coloniale de l’Algérie” en 1992 (éditions La Découverte). Mais la société n’était pas encore prête à l’entendre. Aujourd’hui, les jeunes générations cherchent cette histoire coloniale, ainsi que l’histoire de l’esclavage. Il sera difficile d’arrêter cette vérité qui avance.