Autorisé en Algérie… Interdit en France

Alors que la France tient à défendre le principe de séparation des pouvoirs dans le pays, qui se manifeste par l’indépendance de la justice, elle ne voit aucun inconvénient à demander la suspension ou la violation de ce principe juridique et politique sacré dans les démocraties occidentales lorsqu’il s’agit de l’Algérie. Cela se traduit par la demande de libération de l’écrivain francoalgérien Boualem Sansal et par l’érection de son cas en affaire d’opinion publique, relayée par tous les médias comme une question de liberté d’expression. Pendant ce temps, la France ferme les yeux sur des affaires similaires dans ses territoires d’outremer, sous prétexte qu’elles concernent des opposants et des militants.
Sansal se trouve en prison en raison de déclarations faites dans la presse, de vidéos et de correspondances que les autorités algériennes ont jugées passibles du Code pénal. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme jeudi dernier, après une enquête judiciaire qui a duré depuis novembre dernier.
Cette contradiction dans l’attitude des autorités françaises se manifeste également dans l’affaire de l’ancien ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb. Malgré un accord de coopération judiciaire signé entre les deux pays en 2019, la justice française a refusé de l’extrader vers l’Algérie. Un autre exemple est celui de l’activiste politique Rachid Nekkaz, qui a déclaré hier, lors d’un entretien avec “Radio Sud” : “Ce qui m’a choqué, c’est que pas un seul homme politique, journaliste, défenseur des droits humains ou intellectuel en France n’a prononcé un mot sur mon emprisonnement, alors que je suis né en France et ai porté sa nationalité pendant 40 ans.” Il ajoute : “En revanche, je vois un véritable tsunami politique et médiatique autour de Boualem Sansal, qui n’a acquis la nationalité française que depuis un an”.
Nekkaz précise qu’il a été libéré en bénéficiant d’une grâce présidentielle du président Abdelmadjid Tebboune. Il souligne aussi que la justice française en a profité pour le condamner à 18 mois de prison ferme et confisquer tous ses biens et de geler ses comptes bancaires.
Il note que, contrairement aux idées reçues, les affaires judiciaires en Algérie sont traitées avec plus de diplomatie qu’avec une main de fer, mais il exclut que cette approche soit appliquée dans le cas de Sansal.
Pour illustrer davantage les “contradictions” des autorités françaises, Nekkaz évoque le fait qu’on lui ait accordé un titre de séjour limité à trois mois, malgré ses biens immobiliers en France, qui devraient lui permettre d’obtenir une carte de séjour normale. Il affirme qu’il bénéficie pourtant de facilités administratives aux ÉtatsUnis.
Cette double approche se manifeste également dans les médias français, qui suivent une même mécanique et un même paradigme lorsqu’il s’agit de Boualem Sansal, des immigrés algériens, des binationaux ou de l’Algérie en général. On observe une uniformité dans le ton et dans la manière dont les animateurs traitent ces questions, en dirigeant les débats et les interviews selon une logique commune lorsqu’ils reçoivent des invités qui ne partagent pas leur vision.
Audelà de la question de l’indépendance de la justice, qui varie d’un pays à l’autre et qui est souvent faible, voire inexistante, dans de nombreux États du tiersmonde, le fait qu’une nation qui applique ce principe à un niveau élevé et le considère comme sacré choisisse de l’ignorer ailleurs représente une faille et une chute retentissante. Cela est d’autant plus frappant face à des nations jeunes qui tentent encore d’apprendre à instaurer et consolider ce principe. Atteindre cet objectif nécessite un long processus et des décennies de lutte et de travail, et ne peut être le fruit d’une simple décision politique inspirée par les grands penseurs du modernisme et du postmodernisme.
D’un point de vue juridique, dès lors qu’Emmanuel Macron et son entourage politique ont demandé la libération de Sansal pour des raisons humanitaires, des questions ont immédiatement surgi quant aux bases légales permettant une telle mesure en cette période de l’Aïd alFitr. Une libération semble toutefois exclue, puisque la condamnation de Sansal n’est pas définitive et reste susceptible d’appel. Un délai de 10 jours doit s’écouler à partir de jeudi dernier, date du verdict.
Dans l’éventualité où le jugement serait contesté, que ce soit par l’accusé ou par le procureur de la République qui avait requis une peine de 10 ans de prison , toute possibilité de grâce présidentielle pour Sansal resterait écartée et hors de question.