Macron a cédé le dossier algérien à la droite française pour la faire taire

Le chercheur algérien et professeur de relations internationales à l’Université de Genève, Hosni Abidi, propose, dans un entretien avec le site “El Khabar”, une lecture de l’escalade des tensions entre l’Algérie et la France, ainsi que de la crise entre l’Algérie et Madrid, récemment résolue. Son analyse inclut également les transformations que connaissent les pays du Sahel et l’entrée de nouveaux acteurs étrangers dans la région.
En Algérie comme en France, aucune perspective de sortie de crise ne semble se dessiner. En tant qu’observateur, comment imaginezvous la fin de ces tensions croissantes, qui ressemblent à une boule de neige grossissant avec le temps ?
Les chances de reprise du dialogue sont minces, car le président Macron et son Premier ministre, François Bayrou, se trouvent dans une situation politique intérieure fragile. Ils cherchent à séduire l’extrême droite pour se maintenir au pouvoir et faire passer leurs politiques. Le discours politique et médiatique en France, depuis le revirement de Macron sur la question du Sahara occidental, ainsi que les déclarations françaises insultantes envers l’Algérie et l’affaire Boualem Sansal, contribuent à aggraver la crise au lieu de l’atténuer.
L’élite politique française a découvert que provoquer et amplifier ses différends avec l’Algérie lui est politiquement et électoralement bénéfique, détournant ainsi l’attention des crises plus urgentes pour les citoyens français.
Pour l’Algérie, la crise avec la France représente un défi majeur pour le président Tebboune, qui cherchait à établir un nouveau cadre de relations basé sur un rapprochement entre les deux présidents. Cependant, un manque de communication médiatique et diplomatique a placé l’Algérie en position défensive, sans disposer des outils nécessaires pour faire passer ses messages efficacement.
Depuis le début de la crise, la position française a été marquée par de nombreuses contradictions et une rivalité entre les ministres de l’Intérieur et de la Justice, tandis que le Premier ministre, François Bayrou, est resté silencieux, ce qui reflète une neutralité passive. Cela a accentué l’opacité de la position française et rendu difficile toute lecture claire de la situation. Le plus préoccupant est le silence total du président Macron, alors que toutes les crises entre la France et l’Algérie depuis l’indépendance ont été résolues grâce à la gestion directe des présidents et à l’abstention d’utiliser ces différends à des fins politiques.
L’Algérie estime que le pouvoir en place à Paris est actuellement otage de l’extrême droite, connue pour ses positions hostiles envers l’Algérie. Dans quelle mesure cette lecture estelle juste ?
La France traverse actuellement une période de cohabitation politique, où ni le président Macron ni son Premier ministre ne disposent d’une majorité forte, ce qui les contraint à de grandes concessions face à l’influence croissante de la droite conservatrice et de l’extrême droite, désormais actrices clés de la politique intérieure.
Le président Macron ne souhaite ni la chute du gouvernement, ni la dissolution du Parlement, ni la tenue d’élections présidentielles anticipées. Pour apaiser la droite, il leur a concédé le dossier algérien, un sujet électoral rentable, surtout lorsqu’il est lié aux questions de l’immigration et de la sécurité.
Cependant, ce facteur ne suffit pas à expliquer à lui seul le comportement de la France. D’autres éléments sont liés à la posture de l’Algérie sur la scène internationale, longtemps absente pendant vingt ans, ce qui a affecté négativement sa capacité à suivre les évolutions régionales et internationales.
De plus, le climat politique en Europe est devenu plus propice à l’extrémisme. Le fait qu’un parti fondé par un ancien militaire français, ayant reconnu avoir torturé des Algériens, soit aujourd’hui en lice pour diriger la France est un événement inédit.
Du côté français, on estime avoir fait de nombreuses concessions à l’Algérie sur la question de la mémoire, sans obtenir de reconnaissance en retour. Ce point de vue estil crédible ?
La France n’a pas fait de concessions, elle présente simplement les choses sous cet angle. Elle ne veut pas approfondir la question de la mémoire, ni établir un inventaire des crimes et des responsabilités, préférant se cacher derrière le prétexte que l’Algérie n’a pas répondu à ses initiatives sur ce sujet. Il est vrai que le président Macron a fait plus que ses prédécesseurs en la matière. Mais à quoi bon ouvrir les archives sous conditions si cela signifie abandonner le présent et l’avenir des relations entre les deux pays ?
Si l’on pèse la crise entre l’Algérie et l’Espagne entre 2022 et 2024 en termes de gains et de pertes, qu’a obtenu l’Algérie de cette rupture avec son voisin méditerranéen ?
Il est difficile d’aboutir à une conclusion définitive, mais l’Espagne n’est pas revenue sur sa position, tandis que l’Algérie a rétabli les relations, car la rupture ne lui était pas bénéfique. Certes, l’Algérie a marqué son opposition et envoyé un message clair à l’Espagne. Toutefois, en France, cette posture algérienne a été interprétée comme une indication que la reconnaissance de l’autonomie du Sahara occidental ne dépasserait pas le cadre d’une réponse à Madrid.
Ce raisonnement a encouragé certains partis politiques et figures influentes en France à aller plus loin que la simple reconnaissance et à remettre en question l’intérêt même du partenariat avec l’Algérie.
Chaque pays suit son propre chemin. La France est un acteur clé dans la recherche d’une solution au conflit du Sahara occidental, en raison de son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, de ses relations historiques et de la taille de la communauté algérienne en France.
Dans les circonstances délicates actuelles au niveau régional et international, l’Algérie peut gérer les tensions avec ses partenaires clés pour préserver sa sécurité et son économie.
Depuis le coup d’État militaire au Niger à l’été 2023 et l’annulation de l’accord de paix au Mali en début 2024, des développements préoccupants ont émergé pour l’Algérie, notamment l’alliance de ces régimes avec le groupe Wagner. Comment l’Algérie doitelle réagir à ces nouvelles dynamiques pour ne pas perdre son influence dans la région ?
Le Sahel est une extension de la sécurité nationale algérienne et revêt une importance capitale pour le pays. C’est la région la plus vulnérable du voisinage algérien, avec des États souffrant d’instabilité politique et sécuritaire, ainsi que de crises économiques chroniques impactant leur stabilité interne et celle de l’Algérie.
Cette région a connu des changements démographiques et des transformations au sein de ses élites politiques, avec l’arrivée de nouveaux dirigeants militaires suite à des coups d’État. L’Algérie n’était pas préparée à s’adapter à ces nouvelles dynamiques, qui ont modifié la nature des régimes en place et exigé une mise à jour de ses politiques.
Le retrait de la France a créé un vide politique et militaire exploité par la Russie et divers groupes armés, qui poursuivent leurs intérêts sans considération pour le tissu social local ni les intérêts des pays voisins.
L’Algérie, qui a toujours privilégié une coopération avec les États et leurs armées régulières, se retrouve confrontée à une nouvelle réalité où les groupes armés soutenus par des puissances étrangères jouent un rôle central dans la gouvernance.
Dans ce contexte, Alger, tout en maintenant de bonnes relations avec Moscou, doit instaurer un dialogue sincère sur les défis posés par ces groupes armés à ses frontières.
L’élection de l’Algérie à la viceprésidence de l’Union africaine lui offre une opportunité pour promouvoir une initiative africaine équilibrée et acceptée au niveau régional et international, favorisant la stabilité au Sahel par le dialogue, la cohésion sociale et le développement économique, tout en renforçant un bouclier sécuritaire contre les ingérences extérieures.