Quand les ministres français oublient la IVe République
Le ministre des Affaires étrangères français, JeanNoël Barrot, n’a pas été plus présent dans la crise diplomatique entre l’Algérie et la France que le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, et le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui se livrent chaque jour à une course pour voir qui attise le plus les tensions entre Alger et Paris. Cela indique que le courant de droite dominant dans le gouvernement de Bayrou considère l’Algérie comme une opportunité pour réaliser des gains politiques et électoraux en France, en vue des élections présidentielles de 2027.
Quel est le rôle du ministre de la Justice, Gérald Darmanin, dans la réduction du nombre de visas accordés aux Algériens ? Ce domaine relève en principe des compétences du ministre des Affaires étrangères français, et la décision revient au président Macron. Cependant, cela n’a pas empêché Darmanin d’intervenir dans ce dossier. Si les choses fonctionnaient normalement au sein du gouvernement et que l’ordre avait été maintenu, Darmanin n’aurait pas osé s’immiscer dans ce domaine. Pourquoi le ministre des Affaires étrangères, qui n’a pas beaucoup commenté la crise avec l’Algérie par rapport à Darmanin et Retailleau, estil resté discret ? Barrot, considéré comme proche du président Macron par rapport à Darmanin et Retailleau, qui sont plus proches de la droite, sait que la diplomatie est un domaine réservé au chef de l’État, et non à des considérations partisanes. Chaque mot est mesuré avec soin, surtout lorsqu’il s’agit de la question complexe et épineuse des relations francoalgériennes. C’est pourquoi ses déclarations se sont limitées à des réactions et n’ont pas été poussées plus loin.
La situation est différente pour les ministres de droite, en particulier pour Bruno Retailleau, qui a été formé sous l’influence de l’extrémiste Philippe de Villiers. Ces derniers considèrent que s’attaquer à l’Algérie attire l’attention et le soutien des partisans du courant historiquement hostile à l’Algérie, tout en leur offrant des points qui fortifient leur position au sein du gouvernement et évitent sa chute. En effet, la durée de vie du gouvernement de François Bayrou dépend désormais des députés de l’extrême droite et de leur leader Marine Le Pen.
Darmanin et Retailleau cherchent à capter les voix de l’extrême droite, d’une part pour empêcher l’exercice du contrôle sur le gouvernement, et d’autre part en prévision de l’avenir, en particulier pour les élections présidentielles de 2027. Ils exploitent la question algérienne pour séduire et gagner les voix et la sympathie de ceux qui nourrissent de la nostalgie pour la “l’Algérie française”.
La lutte contre l’immigration étant une priorité absolue dans le programme du parti d’extrême droite et de sa dirigeante Marine Le Pen, cette dernière risque de voir sa candidature aux élections présidentielles de 2027 affectée par une décision judiciaire en février prochain, concernant le détournement de fonds du Parlement européen pour financer les salaires des militants de son parti. Ses adversaires au sein de la droite estiment que la demande d’annulation de l’accord migratoire entre l’Algérie et la France de 1968 pourrait leur donner un avantage pour capter les voix qui allaient auparavant à l’extrême droite. Ainsi, les anciens Premiers ministres Édouard Philippe et Gabriel Attal, candidats à la succession de Macron en 2027, ont rejoint la danse de la diabolisation de l’Algérie, dans l’espoir de gagner des voix d’extrême droite en s’opposant à l’Algérie, notamment dans un contexte où Macron est de plus en plus isolé et dont le gouvernement est affaibli depuis la dissolution de l’Assemblée nationale et la perte de popularité de son parti lors de deux élections.
Cette attaque contre l’Algérie, en dehors des normes diplomatiques habituelles, et l’instrumentalisation politique et électorale des relations entre la France et l’Algérie par Retailleau, Darmanin, Édouard Philippe, Ciotti et Driencourt, vise à construire un avenir politique et électoral pour ces derniers sur le dos de l’Algérie. Mais ces hommes oublient, malgré leur appartenance à la droite et leur prétention d’être les héritiers du général De Gaulle, que l’Algérie qui a renversé la Quatrième République en 1958 peut faire de même avec la Cinquième.